Blutfall

Blutfall

Durant seize ans…

Avant-propos : "Écrire la suite de la phrase „Il/Elle referma la porte, horrifié(e) par ce qu'il/elle venait de découvrir.“ Cette phrase doit être la première ou la deuxième du texte, qui doit faire au minimum 40-45 lignes." Cette consigne m'a été donnée dans le cadre de l'atelier d'écriture pour lequel j'ai rédigé Durant seize ans…. Je souhaitais le partager, car j'apprécie beaucoup ce texte. Le film que j'évoque existe réellement : il s'agit du premier film de Laurent Boutonnat, sorti en 1980 et intitulé La Ballade de la Féconductrice.

 

 Durant seize ans, elle avait été enfermée, sans jamais pouvoir sortir, son seul rêve était la liberté. Aussi fut elle très agréablement surprise de découvrir cette petite porte non verrouillée derrière la commode. Elle l'ouvrit et observa, curieuse, mais la referma bien vite, horrifiée par ce qu’elle venait de voir.

 Durant seize ans, des personnes dont elle ne connaissait pas le visage l'avaient coupée du monde extérieur, dans le but de la protéger, disaient-ils. „Cela ne peut êtr(e) si affreux dehors, pensait-elle, je suis certain(e) que les gens sont en or.“ Cette manière de s'exprimer en décasyllabes lui venait de ses lectures. En effet, bien qu'une énorme bibliothèque remplisse tout un mur de sa chambre, ses étagères étaient presque vides, les seuls ouvrages tolérés étant la poésie. Avant de parvenir à la jeune fille, ils étaient décortiqués, déchirés, censurés, recollés, rayés, réécrits, toujours dans ce but de protection. Ainsi, elle avait à travers ces poèmes revus développé une vision idéalisée de ce que pouvait être la vie hors de la chambre. Sa culture musicale se limitait à la musique instrumentale, les paroles étant jugés pernicieuses par ses „geôliers“, comme elle les désignait souvent. Les films qu'on lui autorisait à voir étaient amputés de nombreuses scènes, si bien qu'elle en comprenait rarement l’intrigue. Elle possédait un ordinateur, mais il n'y avait bien évidemment aucune connexion Internet, et les activités qu'elle réalisait avec la machine se limitaient à l'écriture de poésie, à l'écoute de musique et au visionnage de films.

 Ce qu'elle avait découvert derrière la porte lui donna pourtant envie de demeurer enfermée. Elle donnait sur une salle de cinéma. La jeune fille observa l'écran, sur lequel elle vit des scènes qui avaient pour seul lien leur horreur : un enfant électrocuté dans son bain, un bébé à peine sorti du ventre de sa mère jeté aux ordures, un prêtre castrant ses fidèles… Elle se demanda : „Est-c(e) donc ainsi que les libres agissent ? Et sont-ils à ce point soumis au vice ? Que la réalité est laide, affreus(e) ! Je suis de mes doux song(e)s toute honteuse ! J'aime mieux quitter cet horrible monde, que de souffrir cett(e) vision un(e) seconde !“ Elle referma donc la porte, se mit au lit, et s'endormit avec la ferme intention de ne jamais plus se réveiller. Nul ne sait si elle y parvint.



01/07/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi